Queer psychanalyse: Clinique mineure et déconstructions du genre

La visée des théories queer est éthique : rendre un plus grand nombre de vies vivables. À l’heure du triomphe des thérapies cognitivo-comportementalistes et des transformations profondes de la famille, les psychanalystes peuvent-ils se servir de ces avancées pour réinventer une clinique après l’Œdipe ? Poser cette question, c’est se demander en quoi et pourquoi le travail de Judith Butler, Eve Kosofsky Sedgwick, Paul B. Preciado et d’une multitude d’autres théoriciennes et théoriciens, dé-fait la psychanalyse. C’est s’offrir des pistes concrètes pour revenir sur des formules et des évidences cliniques parfois trop vite tenues pour acquises. C’est resituer la praxis analytique à la croisée de la théorie et du politique. En retour, c’est mettre les concepts des queer face à la tâche impossible qui anime l’analyste, les confronter au réel singulier qui prévaut dans chaque cure. Il ne s’agit donc pas de transformer la pratique en philosophie ou de faire des dé-constructions du genre une clinique, mais de démontrer l’utilité de l’une et l’acuité de l’autre pour rencontrer les minorités en tous genres.

Pour une psychanalyse féministe

Devenir féministe n’est pas seulement un choix rationnel. C’est une réponse vitale à des traumatismes si profonds qu’ils se perdent dans la nuit de nos histoires singulières, comme #MeToo. Le féminisme ne serait pas si puissant s’il n’avait une signification inconsciente.

Pourtant la psychanalyse semblait n’en rien vouloir savoir. Ce livre rompt avec ce silence en introduisant le concept de sororité dans la clinique et la théorie psychanalytiques, en même temps qu’il plaide pour un féminisme qui ferait toute sa place à ses propres éléments pulsionnels, traumatiques, fous.

Il prend pour guide improbable dans cette entreprise une femme, lesbienne, schizophrène, criminelle : Valerie Solanas, qui imagine un monde à partir des seules relations entre femmes – un monde de sœurs. La sororité ne se limite pas aux relations entre des personnes déjà identifiées comme femmes, c’est un type de lien social dans lequel on communique directement à partir de nos traumatismes respectifs dans une forme fabriquée en commun, que ce livre appelle un « symptôme partagé ».

En jetant les bases d’une psychanalyse sororale, qui permet de penser autrement l’articulation de l’intime et du politique, du psychique et du social, de l’inconscient et du collectif, ce livre fait un pas décisif dans la direction d’un renversement de l’orientation patriarcale et hétérocentrée de la psychanalyse, dans une langue claire, impertinente et rigoureuse. Il parlera à toutes celles et ceux qui aspirent à penser, sentir et vivre au-delà des imaginaires de la domination masculine.

Silvia Lippi est psychanalyste, docteure en psychologie et psychologue hospitalière à l’établissement public de santé Barthélemy-Durand d’Étampes.

Patrice Maniglier est philosophe, maître de conférences à l’Université Paris-Nanterre.

L’éthique de l’homme occidental et les buts moraux de la psychanalyse

Lacan presque queer intervient au cœur du débat opposant les militants queer et les spécialistes des études de genre aux psychanalystes. Il évalue la pertinence des critiques politiques développées par les premiers tout en rappelant l’exigence émancipatrice de l’expérience psychanalytique (revue par Lacan) et l’ampleur de son analyse historique de l’évolution de l’éthique des sociétés occidentales (de l’antiquité à la modernité).

 

Le 17 novembre 2019, le philosophe queer Paul B. Preciado invité à la tribune du congrès de l’Ecole de la cause freudienne prononce une mémorable conférence exigeant des psychanalystes une profonde mutation de leur discipline qui reste selon lui la science de l’inconscient hétéropatriarcal et colonial, enferme les sujets dans la cage de l’épistémologie binaire et hiérarchique de la différence des sexes, reconduit la domination masculine, les pratiques de mort contre les homosexuels et les transsexuels, culpabilise les enfants par l’œdipe, et œuvre au total à toutes sortes d’opérations de  normalisation favorisant au mieux l’état actuel de la reproduction sociale ou de la domination mortifère du père (blanc).

Pour Markos Zafiropoulos, il fallait répondre par Lacan à cette violente critique qui divise le champ freudien et celui des études de genre, mais aussi les associations militantes comme les cercles tâtonnant vers la construction d’une queer psychanalyse.

En retournant au texte même, l’auteur prend la mesure de l’analyse de Lacan concernant l’histoire de l’éthique en Occident, les ressorts cliniques qui font de l'homme moderne un fugitif et un prisonnier de la cage du fantasme mais aussi de ce qu’il apporte aux buts moraux de la psychanalyse qui vont comme un gant aux impératifs des avant-gardes politiques

En novembre 2019, Paul B. Preciado s’exprime devant 3500 psychanalystes lors des journées internationales de l’Ecole de la Cause Freudienne à Paris et en appelle à une remise en question fondamentale : « Continuer à pratiquer la psychanalyse en utilisant la notion de différence sexuelle, avec des instruments cliniques comme le complexe d’Œdipe, est aussi aberrant que de prétendre que la terre est plate. » La conférence provoque un véritable séisme dans l’auditoire et depuis les associations psychanalytiques se déchirent. Filmé par des smartphones, le discours est mis en ligne et des fragments sont retranscrits, traduits et publiés sur internet sans souci d’exactitude. Le texte est désormais disponible dans son intégralité et le philosophe vient ce soir, en talentueuse compagnie, en faire entendre des extraits.

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